Pour fêter les 7 ans du blog, découvrez ce nouvel entretien avec Alice Quinn.
Je la connais depuis la sortie de son premier roman en numérique : Un palace en enfer. Elle vit dans le midi, entourée de sa famille et de ses chats. Après avoir connu un franc succès avec sa série de comédies policières, elle a changé de registre et nous a concocté des intrigues policières historiques dans le Cannes de la Belle Époque pour en extraire l’atmosphère d’une société pleine de contraste.
Je me fais une joie de lui poser quelques questions à l’occasion de la sortie de son nouveau roman : Le portrait brisé.
Peux-tu présenter ton roman en un court pitch ?
Il s’agit d’un roman policier historique. C’est un tome 2, mais il peut se lire indépendamment du premier tome. Une courtisane, Lola Deslys, une aristocrate déclassée, Miss Fletcher et un écrivain, Maupassant, se battent pour sauver de la peine de mort une jeune orpheline accusée du meurtre de son séducteur, un banquier puissant.
Mais plus précisément, il s’agit de quoi ?
Il y a quelques années, je faisais des ateliers d’écriture dans la ville de Cannes avec des lycéens, en compagnie de profs d’histoire et de lettres. Nous nous baladions dans les rues de Cannes et je découvrais alors les villas de la belle époque.
La ville était au XIXe envahie tous les hivers par les gens les plus riches et les plus puissants d’Europe, par les têtes couronnées, le Gotha.
Ils entraînaient évidemment dans leur sillage un monde interlope composé de domestiques, d’escrocs, d’opportunistes, de terroristes, d’artistes, et de courtisanes. (liste non exhaustive 😉
C’est là que j’ai eu l’idée de faire naître dans la vieille ville de Cannes en 1863 l’héroïne d’un roman qui se passerait à la belle-époque. Une jeune fille pauvre, mais ambitieuse refusant la condition des femmes de l’époque, ce qui la conduirait à devenir une «cocotte».
Étant donné la place prépondérante des Anglais à l’époque à Cannes, il me fallait un personnage anglais et quand j’ai découvert l’existence de cet étrange demi-monde où l’on rangeait les femmes qui n’avaient plus leur place dans la société, j’ai eu l’idée d’un personnage féminin qui serait une aristocrate anglaise déclassée, qui deviendrait la gouvernante de Lola. C’est l’idée de ce contraste qui m’a amusée.
Ces deux femmes, Lola Deslys et Miss Fletcher, vont rencontrer Maupassant.
Il faut savoir que Maupassant est venu régulièrement tous les hivers à Cannes à partir de 1884, jusqu’aux premiers jours de l’année 1892 qui lui ont été si funestes, puisqu’il a perdu la raison et qu’il a fait une tentative de suicide dans la maison qu’il louait, le chalet de l’Isère. Cette maison existe toujours et on peut même y faire un séjour, puisque c’est actuellement un charmant hôtel.
J’avais dès lors la construction totale dans ma tête de cette trilogie.
Premier tome: 1884. Deuxième tome: 1888. Et le troisième tome verrait la chute de Maupassant.
Dans le tome 1, La lettre froissée, nous assistons à la rencontre des trois personnages principaux, et comme ils sont tous trois épris de justice, nous les accompagnons dans leur lutte pour rendre sa dignité à une jeune femme de chambre trouvée assassinée dans le parc d’un palace où elle travaillait.
Mais aujourd’hui je dois vous parler du deuxième tome : Le portrait brisé. Puisqu’il sort le 23 avril.
Cannes janvier 1888. La ville est secouée par un scandale financier qui entraîne la faillite de nombreux notables. C’est dans ce contexte troublé qu’un banquier est retrouvé assassiné. Aux yeux de la police, la coupable idéale est Anna, une jeune fille que l’homme avait tenté de séduire. Emprisonnée, Anna ne peut compter que sur Miss Fletcher, aristocrate ruinée et sur Lola, courtisane aux mœurs dissolues, pour l’innocenter. Avec l’aide de Maupassant, l’homme de lettres, elles vont lutter pour éviter la guillotine à leur jeune protégée. L’improbable trio se lance dans une course contre la montre qui va le conduire du monde feutré de la grande bourgeoisie jusqu’à un terrifiant asile d’aliénés sur une île une nuit de tempête fatale. Plongez dans un secret de famille bien gardé, au cœur d’une société où les mensonges règnent en maître et où la fortune est, bien souvent, une garantie d’impunité…
D’où est venue ton idée ?
En faisant mes recherches j’ai découvert qu’il y avait eu à Cannes une crise immobilière sans précédent.
De nombreuses familles ont fait faillite à l’époque à Cannes, mais certains personnages s’en sont bien tiré, notamment le banquier qui avait initié l’opération immobilière, qui est aussi le créateur du Crédit Lyonnais.
Je voulais également parler du phénomène des asiles d’aliénés à cette période. Le XIXe siècle a été un moment de bouleversements importants dans notre façon de voir et de penser la folie. Des tentatives ont été menées sur plusieurs fronts.
Comme il existe sur l’île de Lérins, située en face de la baie de Cannes, une propriété privée étonnante et énigmatique qu’on appelle Le Grand Jardin, et qui reste mystérieuse même pour de nombreux Cannois, sur laquelle on retrouve d’ailleurs peu d’archives, je me suis dit que ce serait l’endroit idéal pour y transposer la maison de fous dont j’avais besoin.
Et comme j’essaie de traiter cette trilogie à la façon des feuilletonistes du XIXe siècle ou de Wilkie Collins, je veille à utiliser les secrets de famille, des orphelines maltraitées et la notion de misère qui côtoie la grande richesse. Ce sont des thèmes récurrents dans les romans du XIXe, dont je tente de respecter l’esprit tout en y insufflant notre regard actuel.
As-tu des points communs avec tes héroïnes principales ?
Oui !!! Tout à fait. Je me reconnais en elles à plusieurs moments, et je mets des morceaux de moi, de mes indignations, de mes effrois, de mes faiblesses dans leurs réactions. Quand elles sont courageuses, disons qu’elles concrétisent à ce moment-là ce que j’aimerais être ou faire devant certains événements parfois. Mais il y a aussi les moments où elles m’échappent totalement, et où je ne me reconnais plus du tout en elles.
Maupassant a un peu de moi aussi. J’espère qu’il me pardonne de là où il est. Je pense que oui, car je le sens près de moi quand j’écris et je sens sa bienveillance.
Quelles sont tes recettes pour organiser ta structure de récit?
Je travaille des mois durant à laisser bouillonner mes idées, puis à les coucher sous forme de résumés de chapitres sur du papier, jusqu’à ce que tout ce qui pouvait paraître incohérent ou bancal prenne une vraie place dans un rouage parfait.
Alors, quand je me mets à l’écriture, cela se déroule dans un flot ininterrompu. En revanche, il me faut encore des mois pour la réécriture et les corrections. Et je fais relire aussi par des bêta-lecteurs, dont des historiens afin d’essayer de ne pas faire d’anachronisme. J’ai même une spécialiste de Maupassant, la créatrice du site Maupassantiana.com, qui accepte avec beaucoup de gentillesse de me relire au cas où des erreurs le concernant se seraient glissées dans le texte.
Peux tu choisir un extrait et nous l’offrir ici ?
Extrait du chapitre 11 :
« J’ouvris doucement la porte de la chambre d’Anna et je m’approchai du lit en prononçant son nom :
— Anna, Anna, réveille-toi.
La courtepointe apparaissait anormalement plate. Quand je fus tout près, ce fut pour constater que le lit était vide. Complètement vide. La petite tête brune d’Anna ne reposait pas là où elle aurait dû être, sur l’oreiller de dentelles roses.
Tout se brouilla soudain devant ma vue. En une seconde, je saisis le tragique de la situation. À la place d’Anna, il y avait du sang. Du sang par terre, du sang sur le lit, du sang sur une robe rose qui traînait sur la descente de lit. La robe qu’Anna portait la veille à son retour de sa sortie nocturne. Alors que la veille je n’y avais décelé aucune trace de sang !
La fenêtre était grande ouverte. Elle battait légèrement, faisant voleter ses voilages. Cet air froid me fit frissonner.
Je m’affolai, me demandant d’où venait tout ce sang. Où était passée Anna ? Que lui était-il arrivé ? Elle avait sûrement été enlevée par des malfaiteurs. Ceux-là mêmes qui l’avaient agressée la veille. Cela avait-il un rapport avec la mort de Cousin ? Elle devait être blessée. Ce sang sur sa robe… L’avait-on assassinée, elle aussi ? Notre Anna ? Non ! Ce n’était pas possible. Je frottai mon front, paniquée, refusant les images violentes qui envahissaient mon imagination.
Je courus à la fenêtre, me penchai. J’essayai de voir quelque chose, n’importe quoi, un tissu, un nuage de poussière, une carriole, des silhouettes. Mais le verger parsemé de quelques bâtisses, qui s’étendait à perte de vue derrière notre maison, ne présentait aucun mouvement suspect. Un paysan poussait une brouette et plus loin, deux jeunes filles porteuses de panières de linge babillaient en se rendant en ville.
Les agents de la sûreté ! Ils attendaient au salon ! Qu’allaient-ils penser de la scène ? Penseraient-ils qu’Anna s’était enfuie ? Il me fallait faire vite, avant eux, pour voir s’il y aurait un signe qui nous permettrait de la retrouver, de confondre ses ravisseurs.
Je fouillai la chambre fébrilement, en quête du moindre indice. Une lettre ? Un journal intime, peut-être, qui aurait pu éclaircir ce drame ? Je me penchai pour regarder sous le lit, j’ouvris la grande armoire, écartant les robes et les tissus, je soulevai les cahiers et les partitions. Rien qui changeât du gentil désordre habituel de cette chambre.
Tout en cherchant, j’entendis les agents hausser soudain la voix. Ils semblaient perdre patience. Je tremblai.
Je revins sur mes pas, tout près du lit, atterrée par le spectacle que je refusais d’admettre. La robe. Je ne savais pas s’il fallait que les agents la trouvent, ou non. Qu’allaient-ils penser en voyant ce sang ? Je ramassai le vêtement abandonné à terre, mais en le soulevant, un objet brillant, une sorte de lame, en tomba dans un bruit amorti par le tapis. Je me penchai et me saisis de l’objet.
C’était un coupe-papier, et il était ensanglanté.
Le sang était sec et formait une croûte noirâtre. Hébétée, j’eus le temps de lire les initiales HC gravées dans le métal, juste avant que le brigadier Rodot, excédé, n’ouvre brusquement la porte.
Il me surprit, le coupe-papier dans une main, la robe dans l’autre. Cette vision le mit hors de lui. Il cria :
— À moi ! L’oiseau s’est envolé ! »
Quel est ton prochain roman? Tes prochains projets?
Je termine actuellement les corrections et relectures du tome 3 de cette trilogie, et je m’apprête à attaquer le tome 5 de ma série de comédies policières Au pays de Rosie Maldonne. Ce sera le dernier opus de cette série. Je dirai ensuite adieu à Rosie. La fin d’une belle aventure, mais tout a une fin dans la vie. Je suis beaucoup dans les fins en ce moment !!! 😉
J’ai envie ensuite d’explorer le genre théâtral, mais je ne sais pas si je vais y parvenir. C’est ce qui donne du sel à la vie. J’ai besoin de me confronter à chaque fois à des styles et des genres d’écriture différents…
Merci Alice pour nous avoir confié tes petits secrets sur ton roman. Je rappelle qu’on peut le trouver à la fois en numérique en Kindle mais aussi en Librairie, car il est édité par City Éditions.
Merci à toi Agnès, pour ton accueil chaleureux ! Merci pour ta ténacité, ton courage et ce blog que tu as créé et que tu animes avec passion… Et merci à mes lecteurs fidèles, et aussi aux nouveaux, aux curieux, aux passionnés… Bisou à tous…
Pour rencontrer la romancière et vous faire dédicacer votre livre :
Le samedi 27 avril : Polar sur la vile d’Antibes, à la Librairie Massena d’Antibes
Le 24 et 25 mai : Festival Roman Féminin à Paris, Espace MAS, 10/18 Rue des Terres au Curé, Paris 13
Le 31 mai, 1er juin et 2 juin : Festival du Livre de Nice, Jardin Albert 1er, Nice
Pour suivre Alice Quinn